Mois : décembre 2015

Lors de notre précédente Newsletter, nous vous avions communiqué les nouvelles mesures fiscales applicables à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles à compter du 1er janvier 2016. Ces mesures concernaient tant le crédit d’impôt national, applicable aux producteurs délégués français, que le crédit d’impôt international, qui bénéficie aux producteurs étrangers.

La loi de finances pour l’année 2016 vise à renforcer le crédit d’impôt national principalement pour les œuvres cinématographiques en complétant les dispositions existantes, sous l’impulsion majeure de Luc Besson qui menaçait de délocaliser la production de son film « Valerian » du fait du dispositif français alors en place.

« Valerian » est une œuvre cinématographique de langue anglaise produite par un producteur français et comptant parmi les films français les plus chers de l’histoire. En tant que producteur français, seul le crédit d’impôt national était accessible à Europacorp, ayant pour effet qu’Europacorp se trouvait dans une position moins favorable que les producteurs étrangers en appliquant le système actuel. D’abord, la langue anglaise disqualifie purement et simplement le film de l’éligibilité au crédit d’impôt national. De plus, en admettant que cette production soit éligible, le crédit d’impôt national pour ce type d’œuvre est limité à 20% alors que le crédit d’impôt international s’élève à 30% à compter du 1er janvier 2016 pour ces mêmes œuvres, avec des plafonds plus importants que ceux prévus pour le crédit d’impôt national. Au vu de la structure actuelle, les différentes aides et crédits d’impôt proposés par les autres pays européens devenaient ainsi plus attractifs que ceux disponibles en France.

En raison de l’internationalisation des productions françaises du fait de l’utilisation de la langue anglaise comme langue de tournage, mais également du niveau des budgets en question pour ces œuvres, certaines modifications au dispositif fiscal national étaient nécessaires afin de maintenir la compétitivité du marché français et éviter la délocalisation. « Valérian », dont le budget avoisine les 170 Millions d’Euros, illustre parfaitement l’importance de prévenir la délocalisation de ce type de production pour l’industrie du film français et l’économie française.

La loi de finances pour l’année 2016 prévoit donc des modifications de deux ordres, portant sur l’élargissement des conditions d’éligibilité, et l’augmentation du montant du crédit d’impôt accessible aux sociétés de production. Les changements suivants sont mis en place pour les œuvres de fiction et d’animation en particulier :

– Concernant l’éligibilité :

  • Le critère de langue n’est plus un critère d’éligibilité des œuvres cinématographiques d’animation.
  • Les œuvres cinématographiques de fiction tournées en langue étrangère sont éligibles lorsque : (i) au moins 15% des plans font l’objet de traitement numérique permettant d’ajouter ou de modifier certains éléments définis par la loi (la loi assimilant ces œuvres aux œuvres cinématographiques d’animation), ou (ii) l’emploi d’une langue étrangère est justifié pour des raisons artistiques tenant au scénario.

– Concernant le montant du crédit d’impôt :

  • Les pourcentages du crédit d’impôt accessible aux entreprises de production sont modifiés comme suit :
Animation Fiction
Œuvres audiovisuelles 25% 25%
Œuvres cinématographiques 30% 20%, ou 30% lorsque :

(i) le film est produit en français ou dans une langue régionale en usage en France ; ou

(ii) au moins 15% des plans font l’objet de traitement numérique permettant d’ajouter ou de modifier certains éléments définis par la loi.

 

  • Le plafond total des crédits d’impôt a été augmenté à 30 Millions d’Euros pour les œuvres cinématographiques.
  • Malgré le fait que le plafond total demeure à 4 Million d’Euros, le plafond de crédit d’impôt par minute applicable aux œuvres audiovisuelles de fiction a également été augmenté. Ce plafond, initialement de 1 250€ par minute livrée, oscille désormais entre 1 250€ et 10 000€ par minute livrée, selon le coût de production par minute produite. Ces nouveaux plafonds s’appliquent également aux œuvres audiovisuelles de fiction produites dans le cadre d’une co-production internationale et répondant à certaines conditions de budget et de financement spécifiques.

Ces nouvelles mesures doivent encore être décrétées conformes au droit de l’Union européenne en matière d’aides d’Etat par la Commission européenne ; si tel est le cas, elles s’appliqueront au titre des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016.

 

0

La décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 6 Octobre 2015[1] a invalidé avec grand bruit le mécanisme «  Safe Habor » permettant depuis 2000[2] le transfert de données personnelles depuis l’Union Européenne vers des entreprises situées aux Etats-Unis bénéficiant d’une certification «  Safe Habor ».

Pour rappel, les Etats-Unis n’offrant pas un niveau de protection adéquat, le transfert de données personnelles vers des entreprises situées dans ce pays est de manière générale interdit[3]. Toutefois, à titre d’exception, il était jusqu’alors permis aux sociétés européennes de transférer des données à caractère personnel à des prestataires américains si et seulement si ces derniers i) bénéficiaient d’une certification « Safe Harbor » aux termes de laquelle ils déclaraient s’engager à mettre en œuvre des mécanismes permettant d’assurer un niveau de protection adéquat ou ii) concluaient des contrats avec un responsable de traitement européen insérant les clauses contractuelles types édictées par la Commission européenne[4].

Dans la décision du 6 octobre 2015, la CJUE a notamment considéré que, eu égard aux révélations d’Edward Snowden en 2013 sur les programmes de surveillance de masse de la NSA, la certification « Safe Habor » ne présentait plus les garanties suffisantes pour la protection de la vie privée. Cette décision étant d’application immédiate, tous les transferts de données personnelles effectués sur la base de cette certification sont donc illégaux et doivent en théorie faire l’objet de régularisation.

Suite à cette décision, la CNIL et ses homologues européens (G29) se sont réunis le 15 octobre dernier pour élaborer un plan d’action commun permettant aux acteurs de s’adapter au nouveau contexte juridique. A ce titre, le G29 a appelé les institutions et les gouvernements européens à construire un nouveau cadre juridique permettant de procéder à des transferts de données entre l’Europe et les Etats-Unis, et ceci, avant le 31 janvier 2016. De telles solutions pourraient intervenir dans le cadre de négociations d’un accord intergouvernemental et la mise en place d’un nouveau « Safe Harbor » pourrait être envisagé.

Le G29 poursuit son analyse de l’impact de la décision de la CJUE sur les autres outils permettant d’effectuer un transfert des données vers les Etats-Unis et notamment concernant les clauses contractuelles type précitées. Le G29 a indiqué qu’en attendant la mise en place de nouvelles règles, cet outil pouvait encore être utilisé par les entreprises européennes pour transférer des données personnelles aux Etats-Unis.

Toutefois, cet outil ne permettant pas plus que le « Safe Harbor » de prévenir une éventuelle intrusion de la NSA dans les données personnelles des européens confiées à des prestataires américains, les entreprises ne sont pas à l’abri de voir cette solution invalidée à son tour par décision de justice ou recommandation de la CNIL[5].

Dans l’attente de la signature d’un nouvel accord intergouvernemental ou de la mise en place d’un nouvel outil de transfert, comment les entreprises doivent-elles réagir aujourd’hui ?

Dans ce contexte, les entreprises européennes désireuses de transférer leurs données aux Etats-Unis doivent agir avec prudence.

Elles doivent ainsi mettre en œuvre des solutions juridiques et techniques pour limiter les risques éventuels qu’elles prennent en transférant leurs données personnelles, ce qui implique essentiellement de mettre en place des clauses contractuelles contraignantes vis-à-vis des prestataires qui recevront les données aux Etats-Unis.

Ces clauses devront notamment inclure :

(i) à minima, toutes les obligations prévues dans les clauses contractuelles types ;

(ii) des obligations supplémentaires pour les prestataires américains opérant un service de Cloud Computing :

  • informations relatives à la manière dont les traitements sont effectués (respect de la loi informatique et libertés[6], définition des moyens de traitement mis en place, consentement du client en cas de recours à un tiers pour la réalisation du traitement, limitation de la durée de conservation et report des obligations dans les contrats de sous-traitance) ;
  • mise en place d’un système de remontée des plaintes et failles de sécurité ;
  • possibilité pour le client de procéder à un audit du prestataire ;
  • destruction et restitution des données à la fin de la prestation ou en cas de rupture anticipée du contrat dans un format choisi par le client ;
  • indication des obligations incombant au prestataire en matière de sécurité des données (notamment, mesures de sécurités physiques et techniques, traçabilité, continuité du services, niveau de service, sauvegardes) et précision que ce dernier ne peut agir que sur instruction du client ;
  • devoir de coopération de la part du prestataire avec les autorités de protection des données compétentes et obligation de fournir au client toute information utile permettant de procéder à la déclaration du traitement auprès desdites autorités ;
  • indication claire et exhaustive des pays dans lesquels les données sont hébergées et assurance d’une protection adéquate dans les pays en question.

(iii) enfin et surtout, afin de prévenir tout éventuel revirement de la CNIL, des obligations particulières pour s’assurer la licéité du transfert en toute circonstance :

  • obligation de s’adapter en prenant les mesures techniques et juridiques nécessaires pour se conformer aux évolutions de la loi informatique et libertés et aux recommandations de la CNIL ;
  • en cas d’incapacité ou d’impossibilité de respecter les évolutions de la loi informatique et libertés, prévoir une clause de résiliation automatique du contrat avec restitution (interopérabilité) et suppression des données sans frais supplémentaires pour le client.

Jusqu’à présent, le recours à des sous-traitants bénéficiant du « Safe Harbor » s’effectuait dans la grande majorité des cas par la signature de conditions générales ou de contrats d’adhésion dans lesquels les clients européens ne pouvaient négocier la moindre clause. L’actuel flou dans lequel sont placés les prestataires américains autrefois « Safe Harbor » les obligera nécessairement à modifier leurs contrats et à les adapter aux exigences de leurs clients européens. La décision de la CJUE aura peut-être le mérite de rééquilibrer les forces entre responsables de traitement européens et prestataires de services américain.

[1] Arrêt CJUE du 6 octobre 2015, Affaire C-362-14 Maximillian Schrems v. Data Protection Commissionner

[2] Décision de la Commission du 26 juillet 2000

[3] Rappelons en effet qu’aux termes de la directive 95/46, lorsqu’un pays tiers à l’Union Européenne n’offre pas un niveau de protection adéquat, le transfert de données à caractère personnel vers ce pays doit être interdit

[4] Précisons qu’un autre moyen contractuel de transfert était prévu pour les entreprises d’un même groupe (« Binding Corporate Rules »)

[5] A ce titre, il convient de préciser qu’une autorité de protection allemande s’est déjà prononcée en exprimant son souhait d’invalider également les clauses contractuelles types et de n’autoriser le transfert des données aux Etats-Unis que sous réserve du changement de leur législation

[6] Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

 

0

Face aux changements apportés par notre environnement numérique et l’avènement constant de nouvelles technologies, la Commission européenne a lancé depuis 2011 plusieurs études, travaux de réflexions, consultations et actions dans le but de moderniser et d’harmoniser le droit d’auteur dans l’Union européenne. Le but de cette démarche s’inscrit dans le prolongement de la stratégie de la Commission de mettre en place « un marché unique des droits de propriété intellectuelle ». La Commission alors en fonction n’avait cependant pas abouti à des mesures concrètes, la réforme envisagée ayant été considérée insuffisante pour certains.

La Commission actuelle, dont le mandat a débuté en novembre 2014, a fait de la croissance et l’emploi sa priorité et est venue dès lors accélérer le processus de réforme (le marché unique du numérique étant considéré par le président de la Commission comme un moyen direct de croissance). Pour ce faire, il a été clairement signifié qu’il convenait de « briser les barrières nationales en matière de règlementation du droit d’auteur » afin de « libérer la créativité », et ce, avec un minimum de réglementation.

La rédaction d’un rapport a été confiée fin 2014 à l’eurodéputée Julia Reda, membre du Parti Pirate, et présenté début 2015 au Parlement européen. Ce projet de rapport envisageait notamment, et dans les grandes lignes :

  • la suppression de restrictions territoriales au droit d’auteur et la promotion de l’accès transfrontalier aux contenus ;
  • l’harmonisation des conditions de protection, notamment par l’introduction d’un titre européen unique applicable dans tous les Etats membres (qui aurait par ailleurs également vocation à contribuer à la suppression des « obstacles découlant du caractère territorial du droit d’auteur» tel que mentionné ci-dessus), et de la durée des droits d’auteur ;
  • l’harmonisation et le renforcement des exceptions et limitations au droit d’auteur[1].

Ce texte a fait l’objet de vifs débats et d’une grande mobilisation de la part des professionnels de la propriété intellectuelle et de certains Etats, la France en tête. Les contestations reposaient essentiellement sur une confrontation entre libéralisation de la création et droit des consommateurs d’une part, et protection et sécurité des auteurs et des ayants droits d’autre part. Elles portaient également sur le rapport de force entre industrie et auteurs/artistes et sur les intérêts particuliers des Etats membres. De manière plus générale, se posait enfin la question de la garantie du niveau de protection du droit d’auteur dans chaque Etat membre en cas d’harmonisation.

Au final, plus de 500 amendements ont été soumis au projet de rapport initial, contraignant le Parlement européen a adopter une résolution non législative[2], le 9 juillet dernier, modifiant sensiblement certaines propositions jugées trop « radicales ».

C’est ainsi que, à titre d’exemple :

  • Sur les exceptions et limitations au droit d’auteur :

(i) Alors que le projet de rapport envisageait une harmonisation totale et une application obligatoire des exceptions et limitations au droit d’auteur, les députés ont considéré que ces exceptions devraient toujours pouvoir être établies par chaque Etat membre en fonction de ses intérêts culturels et économiques, tout en suggérant l’instauration de normes minimales ;

(ii) Certaines exceptions proposées dans le projet de rapport, et qui auraient ainsi considérablement élargi les possibilités d’exploitation des œuvres par les consommateurs, ont également été supprimées (notamment la reconnaissance d’un droit de citation en matière audiovisuelle) ou modérées (la proposition d’une exception obligatoire « permettant aux bibliothèques de prêter des livres au public sous format numérique quel que soit le lieu d’accès » a par exemple été encadrée quant à l’usage prévu, la durée, l’objectif voulu, et l’instauration potentielle d’une indemnisation équitable des auteurs).

  • Sur la territorialité et l’accessibilité des contenus et services :

Alors que la territorialité était remise en cause de manière générale dans le projet de rapport initial, le Parlement a finalement demandé à ce que ce principe de territorialité soit réaffirmé afin de permettre « à chaque Etat membre de garantir le principe d’une rémunération équitable ». Certains députés ont effectivement fait valoir que la territorialité permet de valoriser les revenus générés dans chaque territoire, contribuant ainsi au financement des œuvres, et par voie de conséquence, assure une rémunération équitable aux auteurs et ayants droits.

Les députés ont toutefois souligné l’importance de favoriser une meilleure accessibilité et portabilité des services et contenus afin que les consommateurs ne voient pas leur accès à des contenus bloqués pour des causes géographiques et ont laissé le soin à la Commission de proposer des mesures en ce sens. Il semble donc que le débat n’est pas complètement tranché.

En revanche, les députés ont confirmé leur intérêt de mener des réflexions autour de la durée de protection ou l’incidence de la création d’un titre européen unique pour les Etats membres. Ils ont également confirmé leur souhait d’adapter et de créer certaines exceptions à l’ère numérique[3].

Face à la montée en puissance des services type Netflix, les enjeux suscités par cette réforme sont essentiels tant en matière de compétitivité et de développement des services européens que du renforcement des droits des consommateurs. Ils se trouvent cependant confrontées aux contestations et revendications de certains acteurs de la propriété intellectuelle. L’harmonisation du droit d’auteur au niveau européen semble donc particulièrement compliquée et devra nécessairement composer avec les forces en présence. La Commission doit présenter une proposition de révision législative à la fin de l’année 2015. Il conviendra alors d’étudier l’équilibre proposé.

[1] Le projet de rapport contient de nombreuses propositions que nous n’avons pas reprises ou développées dans le cadre de cet article. Vous pouvez vous y référez en suivant ce lien : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-546.580+02+DOC+PDF+V0//FR&language=FR

[2] Résolution du Parlement européen du 9 juillet 2015 sur la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information

[3] La résolution non-législative contient de nombreuses propositions qui ne sont pas reprises ou développées dans le cadre de cet article. Vous pouvez vous y référer en suivant le lien suivant : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=FR&reference=P8-TA-2015-0273

0