Catégorie : Droit du Numérique

Fournisseurs de logiciel et sociétés de conseil en solution informatique attention à quoi vous vous engagez, même en l’absence de convention.

Dans une affaire jugée récemment par la Cour d’Appel de Grenoble (CA. Grenoble, 4 juin 2015, n°2009J386), la société CIMM Franchise qui exploite un réseau de 120 agences immobilières, a commandé à la société de conseil E-Développement Conseil la création d’un logiciel afin de faire évoluer la gestion de ses biens immobiliers. La conception du logiciel a été confiée par E-Développement Conseil à la société 3C Evolution.

Il doit être précisé qu’aucun contrat ni cahier des charges n‘a été formalisé pour définir les missions confiées aux deux prestataires informatiques, ou encore les modalités de la création du logiciel.

Toutefois, des comptes rendus de réunion ont permis d’établir que les parties ont décidé que la livraison du logiciel serait due pour le mois de janvier 2008.

Le logiciel commandé n’a finalement été livré qu’en juin 2008 et a révélé de nombreux dysfonctionnements le rendant impropre à son utilisation. CIMM Franchise a, dans ces conditions, fait assigner les deux prestataires informatiques en résolution des contrats, en remboursement des sommes versées et en paiement de dommages-intérêts.

La Cour d’Appel de Grenoble, estimant que :

  • le développeur avait violé ses obligations en ne respectant pas le délai de livraison du logiciel, ladite obligation étant une obligation de résultat même en l’absence de contrat ou de cahier des charges ;
  • le développeur avait également violé ses obligations en ne fournissant pas un logiciel conforme aux besoins du client, ladite obligation constituant pareillement une obligation de résultat même en l’absence de contrat ou de cahier des charges ;
  • la société de conseil avait manqué à son obligation de conseil car d’une part, elle n’avait pas procédé à un appel d’offre avant de sectionner le développeur et ne s’était donc pas assurée de ses compétences, et d’autre part, elle n’avait pas formalisé de cahier des charges précis exprimant les besoins du client,

a prononcé la résolution des conventions aux torts exclusifs des deux prestataires et le remboursement par ces derniers des acomptes versés. Elle a en revanche débouté la demanderesse de sa demande en paiement de dommages-intérêts.

De toute évidence, l’absence de formalisation d’actes a porté préjudice aux deux prestataires.

0

Accéder librement à des contenus dans l’ensemble du territoire de l’Union Européenne sans souscrire un abonnement différent dans chacun des Etats membres pourrait être possible à partir de l’année prochaine. C’est en tous les cas le souhait de la Commission européenne qui a proposé le 9 décembre dernier un règlement relatif à la portabilité des contenus dans le cadre de sa stratégie sur le marché unique du numérique[1].

Cette proposition prévoit que les fournisseurs de services de contenu en ligne permettent à leurs abonnés présents temporairement dans un Etat membre autre que leur Etat membre de résidence d’accéder au service de contenu en ligne et de l’utiliser. Avec cette nouvelle obligation « contraignante », les abonnés devraient ainsi avoir accès « au même contenu, sur la même gamme et le même nombre d’appareils, pour le même nombre d’utilisateurs et avec les mêmes fonctionnalités, que dans leur État membre de residence”[2].

Les services de contenus en ligne concernés par ces dispositions sont, en l’état actuel, notamment limités aux services ‘portables’ (c’est-à-dire, précise la Commission, ceux auxquels l’abonné peut effectivement avoir accès et utiliser dans son Etat membre de résidence sans limitation à un lieu spécifique) fournis légalement en ligne[3] dans l’Etat membre de résidence de l’abonné soit contre paiement, soit gratuitement si le fournisseur vérifie l’Etat membre de résidence de l’abonné (via l’adresse IP ou autre moyen d’authentification). Les abonnés bénéficiaires de cette portabilité sont également précisément définis dans la proposition.

Dans le cadre de cette portabilité transfrontière, la fourniture des services, leur accès et leur utilisation par l’abonné seront réputés être réalisés dans l’Etat membre de résidence[4]. Aussi, à titre d’exemple, lorsqu’un abonné télécharge légalement un contenu en ligne proposé par son fournisseur en France (Etat membre de résidence) lors d’un séjour limité en Belgique (présence temporaire dans un autre Etat membre), cet acte de téléchargement sera réputé réalisé en France.

Il s’agit donc d’une certaine entorse au principe de territorialité contractuelle puisque la portabilité transfrontière au sein de l’Union Européenne permettra d’étendre le champ géographique défini au contrat avec le fournisseur de service pendant la durée de la présence temporaire de l’abonné dans un autre Etat membre.

Notons cependant que cette durée et l’objet de cette présence temporaire, définie par la Commission comme le fait pour un abonné de se trouver dans un Etat membre autre que son Etat membre de résidence, manquent de précision. Ces informations seraient pourtant importantes afin d’éviter de quelconques abus.

La Commission ayant choisi la forme du règlement, la proposition, actuellement en discussion au Parlement européen et au Conseil, sera obligatoire et directement applicable dans tous les Etats membres une fois adoptée.

En attendant la décision du Parlement et du Conseil et d’éventuelles précisions quant à l’application de la portabilité transfrontière envisagée, comment anticiper aujourd’hui ces changements potentiels dans les contrats en cours de négociation?

La proposition de la Commission prévoit que toute disposition contractuelle contraire (y compris simplement limitative) à la portabilité transfrontière et à la localisation de la fourniture des services, de leur accès et de leur utilisation par l’abonné dans l’Etat membre de résidence seront inapplicables. Il est en outre précisé que ce règlement s’appliquerait aux contrats conclus avant la date de son application.

Bien que ces deux dispositions permettraient d’éviter une renégociation des contrats en cours au jour de l’application du règlement[5], il serait conseillé de prévoir d’ores et déjà dans les contrats en cours de négociation une clause mentionnant cette possibilité de portabilité des contenus dans l’éventualité où le règlement serait adopté.

 

[1] Proposition de Règlement du Parlement Européen et du Conseil visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur 2015/0284 en date du 9 décembre 2015 (la « Proposition »)

[2] Considérant 18 de la Proposition

[3] Par tout moyen, y compris streaming, téléchargement ou toute autre technique permettant l’utilisation du contenu – Considérant 13 de la Proposition

[4] La Commission précise dans son exposé des motifs que cette règle s’appliquerait pour toutes les finalités liées à cette disposition. Cette dernière fait également référence à certaines directives

[5] Considérant 26 de la Proposition

2

Le 21 octobre dernier, la CJUE est venue compléter sa jurisprudence concernant le partage en ligne de contenus déjà divulgués sur Internet en étendant au framing la décision déjà constante en matière de liens hypertextes.

Pour mémoire, dans un arrêt Svensson du 13 février 2014 (C-466/12), la CJUE avait déjà décidé que la pratique consistant à diffuser une œuvre par un hyperlien sans l’autorisation de son auteur ne constitue pas une atteinte au droit d’auteur lorsque le contenu initial a été publié sans restriction. La Cour estime que la nouvelle mise à disposition faite par hyperlien ne constitue pas une communication selon un moyen technique différent, ni une communication à un public nouveau (puisque dans les deux cas l’ensemble des internautes peut avoir accès à l’œuvre) et que, dès lors, il n’y a pas contrefaçon.

Cette décision s’applique désormais au framing, une technique consistant à insérer sur une page Internet, un élément provenant d’un autre site. Cette technique est largement utilisée et permet aux internautes d’avoir accès à du contenu provenant d’un autre site Internet sans quitter le site objet de leur visite.

Dans la décision étudiée, la société BestWater a constaté que des vidéos, diffusées originellement par elle sur la plateforme vidéo YouTube, ont été copiées par la technique du framing sur des sites Internet concurrents et a par conséquent demandé aux juridictions allemandes de faire cesser la diffusion des vidéos sur lesdits sites.

Après des décisions opposées en première instance et en appel, le Bundesgerichtshof (équivalent allemand de notre Cour de cassation) a décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE afin de déterminer si, au sens de l’article 3 de la directive 2001/29, la diffusion d’une œuvre par framing, sans autorisation des ayants droits de ladite œuvre, constituait ou non une « communication au public » et donc une atteinte au droit d’auteur.

Sans équivoque, les Juges luxembourgeois ont répondu par la négative en précisant que pour qu’il y ait « communication au public » au sens de la directive, il faut que l’œuvre soit :

  • communiquée selon un « mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés », ou
  • communiquée à un « public nouveau, c’est-à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de leur œuvre au public ».

Or, en l’espèce, la technique utilisée pour communiquer l’œuvre repose sur le même mode technique (le framing ne constituant pas un mode technique différent), et le public ne peut être nouveau puisque l’œuvre était « déjà librement disponible pour l’ensemble des internautes sur un autre site Internet avec l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ».

La Cour ajoute qu’en autorisant une première communication sans restriction (sur la plateforme vidéo YouTube), les titulaires du droit d’auteur on « pris en compte l’ensemble des internautes comme public ». Etant donné l’existence de vastes moyens de privatisation des contenus sur Internet auxquels les titulaires du droit d’auteur n’ont pas souhaité recourir, le public s’appréhende ici nécessairement comme la masse globale des internautes et non seulement les seuls visiteurs du site.

Il en résulte que la diffusion de contenus par framing ne constitue pas une « communication au public » et donc une atteinte aux droits d’auteur si ce contenu a été originellement divulgué sur Internet sans restriction.

Il est intéressant de noter que si l’utilisation de la technique du framing ne constitue pas un acte de représentation, la CJUE reconnaît qu’elle permet également d’échapper aux dispositions relatives au droit de reproduction.

Cette décision s’inscrit dans le cadre de la jurisprudence américaine qui avait déjà considéré en 2012 que l’utilisation du framing ne portait pas atteinte au droit d’auteur. Selon le juge du 7e  circuit (Flava Works Inc. v. Gunter decision, 10 C 6517), le site diffusant les vidéos par framing (ici myVidster) agit simplement comme un connecteur entre le serveur sur lequel la vidéo se trouve, et l’ordinateur du visiteur souhaitant regarder les vidéos. Il n’y a donc pas violation du droit d’auteur dans le sens où il n’y a ni copie, ni distribution de copies d’œuvres protégées.

 

0

La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation (dite « loi Hamon ») vient renforcer les obligations des e-commerçants à l’égard des consommateurs. Cette loi transpose notamment en droit français des dispositions prises au niveau européen visant à la protection des consommateurs.

Parmi les mesures les plus notables, on remarquera :

  • le renforcement de l’obligation pré-contractuelle d’information du consommateur (caractère onéreux de la commande, informations concernant le produit, l’e-commerçant et les moyens de paiement, etc.) ;
  • l’obligation pour l’e-commerçant d’indiquer la date de livraison ou le délai de livraison (à défaut de quoi l’e-commerçant devra procéder à la livraison dans un délai maximum de 30 jours) ;
  • l’augmentation du délai de rétractation du consommateur qui est porté à 14 jours (au lieu de 7 jours actuellement) ;
  • la réduction à 14 jours (au lieu de 30 jours) du délai de remboursement du consommateur (notamment en cas d’exercice par celui-ci du droit de rétractation) ;
  • l’interdiction faite à l’e-commerçant d’ajouter des biens ou services à la commande du consommateur en pré-cochant les cases relatives à ces biens ou services.

Par ailleurs, l’e-commerçant se voit désormais interdit de démarcher par téléphone des consommateurs qui se sont préalablement inscrits sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique et, en cas de démarchage téléphonique autorisé d’un consommateur, ne pourra pas utiliser de numéro masqué.

L’ensemble des mesures précitées est entré en vigueur le 14 juin 2014. Chaque e-commerçant doit donc veiller à ce que le contenu de son site de e-commerce ainsi que ses contrats de vente et ses conditions générales de vente soit conformes à ces nouvelles dispositions.

0

Un tribunal peut ordonner à un fournisseur d’accès à Internet (« FAI ») de bloquer l’accès à un site Internet de téléchargement illégal mettant en ligne des oeuvres protégées sans l’accord des ayants droit, comme le confirme la Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») dans un arrêt récent (CJUE, 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien c/ Constantin Film Verleih et Wega).

La CJUE estime en effet que l’injonction faite par un tribunal de bloquer l’accès à un site Internet est valable même si celle-ci ne précise pas les mesures concrètes que le FAI doit prendre afin de bloquer cet accès. Les juges européens permettent ainsi au Tribunal de laisser une certaine marge de man¦uvre aux FAI afin de choisir les mesures les plus adaptées pour procéder audit blocage. Ils imposent néanmoins des obligations aux FAI concernant les modalités de blocage : les mesures prises par les FAI en application de cette injonction doivent être ciblées en empêchant l’accès au site illicite sans priver les internautes de la possibilité d’accéder aux autres sites Internet non visés par cette injonction.

Si la CJUE reconnaît qu’une telle injonction puisse représenter pour le FAI « un coût important, susceptible d’avoir un impact considérable sur l’organisation de ses activités ou de requérir des solutions techniques difficiles et complexes », elle considère cependant que ces contraintes ne constituent pas « des sacrifices insurmontables ».

Cet arrêt doit être mis en perspective avec le jugement rendu le 28 novembre dernier par le Tribunal de grande instance de Paris qui, à la demande d’ayants droit, avait ordonné aux principaux FAI français de bloquer l’accès à des sites Internet de streaming illégaux (appartenant pour la plupart au réseau Allostreaming). Dans leur jugement, les magistrats français avaient en effet ordonné cette mesure de blocage sans préciser concrètement les modalités d’un tel blocage et avaient rejeté la demande des ayants droit visant à mettre le coût financier de telles mesures à la charge des FAI. Ce jugement a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel de Paris qui est en cours d’examen.

L’arrêt de la CJUE vient donc appuyer la mesure de blocage ordonnée par le Tribunal de grande instance de Paris dans l’affaire Allostreaming mais pourrait être vivement discuté par les parties dans la procédure d’appel en cours au sujet de la prise en charge par les FAI du coût des mesures de blocage.

En pratique, ces mesures de blocage ne devraient pas empêcher complètement les éditeurs de sites Internet de téléchargement ou streaming illégal de proposer leurs services aux internautes puisque les décisions de justice ordonnant des mesures de blocage portent uniquement sur des sites déterminés. Les éditeurs de ces sites pourront toujours fermer les sites bloqués et ouvrir des sites miroirs accessibles via d’autres noms de domaine.

0