Droit à l’oubli – Doit-on agir contre Google France ou Google Inc. ?

Droit à l’oubli – Doit-on agir contre Google France ou Google Inc. ?

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Les questions relatives à la loi applicable et/ou au choix de la société contre laquelle agir en justice peuvent s’avérer particulièrement complexes lors d’un litige né sur Internet et notamment en matière de protection des données personnelles.

L’hypothèse  est la suivante : un responsable de traitement (éditeur de site Internet, FAI,  moteur de recherche etc.) situé sur un territoire étranger mais ayant une filiale en France porte atteinte aux données personnelles d’un internaute français.

L’internaute français qui souhaite intenter une action contre le responsable du traitement doit se poser les deux questions suivantes :

  • la loi française est-elle applicable pour statuer sur la responsabilité du responsable du traitement ?
  • contre quelle entité l’internaute français doit-il agir ? Peut-il rendre responsable la filiale française de l’atteinte portée à ses données personnelles ?

Ce sont les questions auxquelles a répondu très récemment le Tribunal de grande instance de Paris grâce à deux Ordonnances de référé des 16 septembre et 19 décembre 2014, concernant le moteur de recherche Google auquel des particuliers, invoquant leur droit à l’oubli, avaient demandé de déréférencer des liens Internet.

1/ Sur la loi applicable

Il convient de rappeler que l’Article 5 de la loi Informatique et Libertés (Loi n°78-17 du 6 janvier 1978) dispose :

« Sont soumis à la présente loi les traitements de données à caractère personnel :

Dont le responsable est établi sur le territoire français. Le responsable d’un traitement qui exerce une activité sur le territoire français dans le cadre d’une installation, quelle que soit sa forme juridique, y est considéré comme établi …».

En application de l’article précité, dès lors qu’un établissement situé sur le territoire français est responsable de traitements, la loi française aura vocation à s’appliquer.

Qu’en est-il pour Google ?

Il convient de préciser que le traitement de données personnelles effectué via le moteur de recherche est initié et contrôlé par la société Google Inc., basée aux Etats-Unis. Le géant américain n’a en réalité recours à ses filiales locales (dont la France) que pour promouvoir, faciliter et effectuer la vente de produits et de services de publicité en ligne dans l’Etat dans lequel la filiale est implantée. Cette dernière n’opère nullement un traitement de données personnelles.

Pourtant, le Tribunal de grande instance de Paris a retenu que la société Google France, bien que ne réalisant aucun traitement de donnée, peut être qualifiée d’établissement au sens de l’article 5-1 (précité), et ce, en raison du fait que ses activités relatives aux espaces publicitaires sont indissociablement liées à celles de l’exploitant du moteur de recherche.

La loi française est dès lors applicable concernant le traitement de données effectué par Google.

2/ Contre quelle société agir ?

La question de la loi applicable étant réglée, reste à déterminer contre quelle société agir. Sur cette question, force est de constater que le Tribunal de grande instance de Paris rencontre certaines difficultés puisque les deux Ordonnances étudiées sont, à ce sujet, parfaitement contradictoires.

En effet, dans un premier temps (Ordonnance du 16 septembre 2014), le Tribunal a reconnu que les demandes du requérant dirigées contre Google France étaient recevables et a enjoint à cette dernière de déréférencer plusieurs liens renvoyant à des contenus jugés diffamatoires.

Pour arriver à cette solution, le Tribunal a fait sienne l’argumentation de la CJUE dans sa célèbre décision du 13 mai 2014 consacrant le droit à l’oubli, et retient notamment que :

  1. si la société Google Inc. est certes l’exploitant du moteur de recherche, Google France, qui en est une filiale à 100%, a pour activité la promotion et la vente d’espaces publicitaires liés à des termes recherchés au moyen du moteur édité par Google Inc, et assure ainsi, par l’activité qu’elle déploie, le financement de ce moteur de recherche,
  2. que « les activités de l’exploitant du moteur de recherche et celles de son établissement situé dans l’Etat membre concerné sont indissociablement liées ».

En revanche, étonnamment, dans son Ordonnance la plus récente du 19 décembre 2014, le Tribunal de grande instance de Paris a décidé que le droit à l’oubli ne pouvait être exercé que contre Google Inc. et non contre Google France. Cette dernière n’exploitant pas directement ou indirectement le moteur de recherche et n’ayant pas la qualité de responsable de traitement.

En conséquence, la question du choix de l’entité contre laquelle agir, qui semblait avoir été tranchée par la CJUE, est remise en question et plonge les internautes dans une grande incertitude. En attendant que la question soit définitivement tranchée, toute personne désireuse d’invoquer son droit à l’oubli pour faire supprimer des liens redirigeant vers des sites diffamatoires devra, dans le doute, saisir Google France et Google Inc. pour être certaine de voir son recours aboutir.

En pratique, cette incertitude est regrettable pour le demandeur qui, contraint d’agir contre Google Inc., se verra imposer des délais de procédure plus longs et, par conséquent, devra supporter plus longuement les articles publiés sur Internet lui portant préjudice.

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