Réforme du droit d’auteur dans l’Union européenne: quel sera l’équilibre choisi par la Commission ?

Réforme du droit d’auteur dans l’Union européenne: quel sera l’équilibre choisi par la Commission ?

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Face aux changements apportés par notre environnement numérique et l’avènement constant de nouvelles technologies, la Commission européenne a lancé depuis 2011 plusieurs études, travaux de réflexions, consultations et actions dans le but de moderniser et d’harmoniser le droit d’auteur dans l’Union européenne. Le but de cette démarche s’inscrit dans le prolongement de la stratégie de la Commission de mettre en place « un marché unique des droits de propriété intellectuelle ». La Commission alors en fonction n’avait cependant pas abouti à des mesures concrètes, la réforme envisagée ayant été considérée insuffisante pour certains.

La Commission actuelle, dont le mandat a débuté en novembre 2014, a fait de la croissance et l’emploi sa priorité et est venue dès lors accélérer le processus de réforme (le marché unique du numérique étant considéré par le président de la Commission comme un moyen direct de croissance). Pour ce faire, il a été clairement signifié qu’il convenait de « briser les barrières nationales en matière de règlementation du droit d’auteur » afin de « libérer la créativité », et ce, avec un minimum de réglementation.

La rédaction d’un rapport a été confiée fin 2014 à l’eurodéputée Julia Reda, membre du Parti Pirate, et présenté début 2015 au Parlement européen. Ce projet de rapport envisageait notamment, et dans les grandes lignes :

  • la suppression de restrictions territoriales au droit d’auteur et la promotion de l’accès transfrontalier aux contenus ;
  • l’harmonisation des conditions de protection, notamment par l’introduction d’un titre européen unique applicable dans tous les Etats membres (qui aurait par ailleurs également vocation à contribuer à la suppression des « obstacles découlant du caractère territorial du droit d’auteur» tel que mentionné ci-dessus), et de la durée des droits d’auteur ;
  • l’harmonisation et le renforcement des exceptions et limitations au droit d’auteur[1].

Ce texte a fait l’objet de vifs débats et d’une grande mobilisation de la part des professionnels de la propriété intellectuelle et de certains Etats, la France en tête. Les contestations reposaient essentiellement sur une confrontation entre libéralisation de la création et droit des consommateurs d’une part, et protection et sécurité des auteurs et des ayants droits d’autre part. Elles portaient également sur le rapport de force entre industrie et auteurs/artistes et sur les intérêts particuliers des Etats membres. De manière plus générale, se posait enfin la question de la garantie du niveau de protection du droit d’auteur dans chaque Etat membre en cas d’harmonisation.

Au final, plus de 500 amendements ont été soumis au projet de rapport initial, contraignant le Parlement européen a adopter une résolution non législative[2], le 9 juillet dernier, modifiant sensiblement certaines propositions jugées trop « radicales ».

C’est ainsi que, à titre d’exemple :

  • Sur les exceptions et limitations au droit d’auteur :

(i) Alors que le projet de rapport envisageait une harmonisation totale et une application obligatoire des exceptions et limitations au droit d’auteur, les députés ont considéré que ces exceptions devraient toujours pouvoir être établies par chaque Etat membre en fonction de ses intérêts culturels et économiques, tout en suggérant l’instauration de normes minimales ;

(ii) Certaines exceptions proposées dans le projet de rapport, et qui auraient ainsi considérablement élargi les possibilités d’exploitation des œuvres par les consommateurs, ont également été supprimées (notamment la reconnaissance d’un droit de citation en matière audiovisuelle) ou modérées (la proposition d’une exception obligatoire « permettant aux bibliothèques de prêter des livres au public sous format numérique quel que soit le lieu d’accès » a par exemple été encadrée quant à l’usage prévu, la durée, l’objectif voulu, et l’instauration potentielle d’une indemnisation équitable des auteurs).

  • Sur la territorialité et l’accessibilité des contenus et services :

Alors que la territorialité était remise en cause de manière générale dans le projet de rapport initial, le Parlement a finalement demandé à ce que ce principe de territorialité soit réaffirmé afin de permettre « à chaque Etat membre de garantir le principe d’une rémunération équitable ». Certains députés ont effectivement fait valoir que la territorialité permet de valoriser les revenus générés dans chaque territoire, contribuant ainsi au financement des œuvres, et par voie de conséquence, assure une rémunération équitable aux auteurs et ayants droits.

Les députés ont toutefois souligné l’importance de favoriser une meilleure accessibilité et portabilité des services et contenus afin que les consommateurs ne voient pas leur accès à des contenus bloqués pour des causes géographiques et ont laissé le soin à la Commission de proposer des mesures en ce sens. Il semble donc que le débat n’est pas complètement tranché.

En revanche, les députés ont confirmé leur intérêt de mener des réflexions autour de la durée de protection ou l’incidence de la création d’un titre européen unique pour les Etats membres. Ils ont également confirmé leur souhait d’adapter et de créer certaines exceptions à l’ère numérique[3].

Face à la montée en puissance des services type Netflix, les enjeux suscités par cette réforme sont essentiels tant en matière de compétitivité et de développement des services européens que du renforcement des droits des consommateurs. Ils se trouvent cependant confrontées aux contestations et revendications de certains acteurs de la propriété intellectuelle. L’harmonisation du droit d’auteur au niveau européen semble donc particulièrement compliquée et devra nécessairement composer avec les forces en présence. La Commission doit présenter une proposition de révision législative à la fin de l’année 2015. Il conviendra alors d’étudier l’équilibre proposé.

[1] Le projet de rapport contient de nombreuses propositions que nous n’avons pas reprises ou développées dans le cadre de cet article. Vous pouvez vous y référez en suivant ce lien : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-546.580+02+DOC+PDF+V0//FR&language=FR

[2] Résolution du Parlement européen du 9 juillet 2015 sur la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information

[3] La résolution non-législative contient de nombreuses propositions qui ne sont pas reprises ou développées dans le cadre de cet article. Vous pouvez vous y référer en suivant le lien suivant : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=FR&reference=P8-TA-2015-0273

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