L’impact de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création sur les obligations des producteurs et distributeurs
La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine[1], parfois caractérisée de « loi fourre-tout », contient des nouvelles mesures relatives à l’audiovisuel. Transparence des comptes de production et d’exploitation, obligation de recherche d’exploitation suivie et nouvelles règles de cession des contrats de production audiovisuelle, sont autant de changements qui viennent modifier le paysage audiovisuel actuel et que nous avons résumé ci-dessous. Ceux-ci ne constituent en réalité qu’un bref aperçu des nombreuses mesures adoptées.
Les comptes de production et d’exploitation doivent être transparents : dans le même élan qui a entraîné la mise en place, dans le secteur cinématographique, d’un coût uniforme de l’œuvre et l’encadrement de l’amortissement de ce coût opposable aux auteurs, le législateur est intervenu afin de renforcer la transparence dans l’industrie audiovisuelle et cinématographique. Cette obligation renforcée a désormais vocation à s’imposer tant aux producteurs délégués qu’aux distributeurs, en s’appliquant tant en amont sur le compte de production, qu’en aval sur le compte d’exploitation, et ne bénéficie plus seulement aux auteurs. La liste des œuvres concernées a également été allongée (œuvres cinématographiques de longue durée mais aussi certaines œuvres audiovisuelles, dont les œuvres de fiction et d’animation, admises au bénéfice des aides financières à la production du CNC). Des sanctions administratives, telle qu’une sanction pécuniaire assise sur le chiffre d’affaires ou une réduction, voire même le remboursement, des aides financières attribuées, ont par ailleurs été prévues afin de garantir le respect de ces nouvelles obligations.
Un décret doit en principe fixer les conditions de mise en œuvre de ces règles de transparence, repoussant ainsi leur application.
Sur le compte de production : il s’agit là d’une nouveauté – en substance, la loi impose désormais aux producteurs d’établir et de transmettre le compte de production de l’œuvre (recensant toutes les dépenses engagées pour la préparation, la réalisation et la postproduction de l’œuvre). Cette communication doit être effectuée dans un délai spécifique notamment auprès des coproducteurs et tout tiers bénéficiant d’un intéressement contractuel aux recettes d’exploitation de l’œuvre conditionné à l’amortissement du coût de production (dont les scénaristes, réalisateurs et compositeurs).
La loi remet à la négociation collective le soin de définir la forme de ce compte, la définition des catégories de dépenses le composant et la nature des moyens de financement par accord professionnel[2] qui pourra être rendu obligatoire par arrêté à tous les acteurs de l’industrie. Pour inciter à la discussion collective qui est au plus près des intérêts des acteurs en jeu et accélérer la mise en application des nouvelles garanties, une date butoir a été instaurée ; si aucun accord professionnel n’est rendu obligatoire à l’expiration d’une période d’un an à compter de cette loi, ces éléments seront définis par décret en Conseil d’Etat[3].
Les obligations relatives à l’établissement et à la communication du compte de production devront par ailleurs être intégrées dans les contrats conclus avec les personnes concernées, étant précisé que cette obligation ne semble pas être assortie de sanction administrative en cas de manquement.
Sur le compte d’exploitation : la loi impose aux distributeurs et mandataires d’établir et de transmettre au producteur délégué le compte d’exploitation de l’œuvre dans des délais encadrés, afin que ce dernier puisse le communiquer, entre autres, aux auteurs et co-producteurs[4]. Elle poursuit ainsi son objectif d’harmonisation à travers la mise en place d’obligations de forme (présentation du compte par mode d’exploitation et par territoire) et de fond (indication de l’état d’amortissement des minimas garantis, entre autres).
La négociation collective est à nouveau privilégiée puisque la loi renvoie la définition de certains éléments (forme du compte, définitions des encaissements bruts, des coûts d’exploitation, etc.) à un accord professionnel[5], qui pourra également être rendu obligatoire à tous les acteurs de l’audiovisuel par arrêté. Le Conseil d’Etat sera en charge de déterminer ces éléments par décret si aucun accord professionnel obligatoire n’est pris dans l’année suivant cette loi.
Les contrats de cession de droits d’exploitation et mandats de commercialisation devront rappeler l’obligation d’établissement et de communication du compte d’exploitation précitée, bien que cette obligation semble être affranchie de sanction administrative en cas de manquement.
Faisant fî de la négociation contractuelle, cet objectif de transparence présentera au moins l’avantage d’harmoniser les différents éléments d’établissement des redditions des comptes, facilitant et accélérant ainsi les calculs des rémunérations dues.
Le producteur est tenu de rechercher une exploitation suivie de ses œuvres, conforme aux usages de la profession : jusqu’en juillet 2016, le producteur était tenu d’assurer à l’œuvre audiovisuelle une « exploitation conforme aux usages de la profession ». Les paramètres de cette exploitation n’avaient pas été définis par le législateur, ce qui décourageait les bénéficiaires de cette disposition de s’en prévaloir.
Soucieuse de favoriser la circulation des œuvres, la loi nouvelle renforce cette obligation en précisant que cette exploitation doit être suivie. Elle prévoit par ailleurs que le champ d’application et les conditions de mise en œuvre de celle-ci devront être définies par voie d’accord professionnel qui pourra être rendu obligatoire pour l’ensemble des intéressés concernés par arrêté.
C’est ainsi qu’un accord professionnel a d’ores et déjà été conclu le 3 octobre 2016[6]. Cet accord a été étendu par arrêté du 7 octobre 2016[7], et s’impose à toute entreprise de production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles ainsi qu’à toute entreprise cessionnaire ou mandataire de droits d’exploitation d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles.
Ces textes visent certaines œuvres françaises cinématographiques et audiovisuelles pour lesquelles un contrat de production audiovisuelle est régi par le droit français. Ils s’appliquent à compter du 7 octobre 2016, bien qu’un aménagement ait été prévu pour les œuvres exploitées avant cette date.
L’obligation de recherche d’exploitation suivie est qualifiée comme une obligation de moyens, en vertu de laquelle le producteur doit entreprendre ses meilleurs efforts pour permettre à l’œuvre d’être exploitée en France et/ou à l’étranger, soit en exploitant l’œuvre lui-même, soit par le biais de distributeurs ou d’opérateurs. Cette obligation est répercutée sur les distributeurs, qui devront également faire leurs meilleurs efforts pour permettre au producteur de remplir son obligation de recherche d’exploitation suivie.
Le producteur doit par ailleurs fournir, sur simple demande écrite de l’auteur ou, à défaut, de son représentant mandaté, les informations relatives aux efforts qu’il a engagés et aux motifs éventuels qui l’empêchent de remplir cette obligation de recherche d’exploitation suivie. Le producteur pourra solliciter les distributeurs et opérateurs pour fournir les informations relatives aux exploitations effectuées.
Ces obligations étant particulièrement favorables aux auteurs et contraignantes pour les producteurs, l’accord a instauré des présomptions de respect de cette obligation de recherche d’exploitation suivie. Ainsi, par exemple, l’obligation du producteur est présumée respectée lorsque l’œuvre fait l’objet de contrats d’exploitation en cours d’exécution en vue d’une exploitation dans deux modes parmi cinq modes d’exploitation identifiés par l’arrêté ; cependant, un contrat de cession de droits pour un seul mode visant la France sera suffisant pour les œuvres audiovisuelles et pour les œuvres cinématographiques de plus de huit ans.
Des causes d’exonération ont également été prévues sous certaines conditions, notamment en cas d’impossibilité de renégocier les droits d’exploitation, constituant un obstacle juridique au respect de cette obligation.
Ce régime n’est pas sans rappeler celui de l’éditeur d’une œuvre littéraire, qui doit en assurer une exploitation permanente et suivie, sous peine de voir la cession des droits résiliée. Toutefois, les sanctions applicables dans le secteur audiovisuel en cas de manquement aux obligations précitées n’ont pas été clairement définies, même si le texte encourage le recours à la médiation.
Précisons enfin que l’accord professionnel met en place d’autres obligations et engagements, applicables entre autres aux producteurs, auteurs, distributeurs et diffuseurs, dont une mesure que nous trouvons particulièrement encourageante, et qui oblige les auteurs et producteurs à négocier de bonne foi pour « favoriser le renouvellement et/ou la renégociation des contrats conclus pour une durée limitée, dans des conditions permettant que les droits d’auteur et les droits voisins du droit d’auteur sur l’œuvre ne soient pas dissociés artificiellement à des fins spéculatives ».
Les cessions de contrats de production audiovisuelle sont désormais encadrées : en cas de cession par le producteur du bénéfice du contrat à un tiers, la loi impose une information préalable des coauteurs, qui devra intervenir au plus tard un mois avant la date effective de la cession. Ce droit d’information préalable doit figurer au contrat.
Bien que certaines conditions encadrant cette nouvelle mesure n’aient pas été clairement précisées (forme de la notification, nature de l’objet de la cession), le respect du formalisme imposé par la loi sera rapidement mis à l’épreuve dans cette industrie où cession de contrats et de catalogues rythment le quotidien. Il nous semble par ailleurs que l’absence de notification pourrait mettre en cause la validité de la cession. Les enjeux sont donc très importants dans le cadre de rapprochements de sociétés, d’audits juridiques et de cessions de catalogue. Ainsi, il conviendra de rester particulièrement attentifs aux développements à venir, qui permettront certainement de définir de manière plus précise les conditions de cette nouvelle obligation.
*
La loi relative à la liberté de la création contient de nombreuses autres dispositions relatives, entre autres, aux contrats d’édition, aux contrats conclus entre artiste-interprète et producteur de phonogrammes, au médiateur de la musique, aux contrats de transmission des droits d’auteur et au régime du droit de suite et de la copie privée.
Compte tenu des importantes modifications, une mise à jour des contrats et/ou un suivi personnalisé sont fortement conseillés.
[1] Loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine
[2] S’agissant des œuvres audiovisuelles, il semblerait qu’un ou plusieurs accord(s) professionnel(s) pourront établir ces définitions y compris les modalités d’amortissement du coût de production.
[3] Un premier accord professionnel a été conclu le 19 février 2016 entre certains producteurs, diffuseurs et distributeurs sur la transparence des comptes et des remontées de recettes en matière de production audiovisuelle mais n’a pas encore été étendu.
[4] Précisons également que des dispositions particulières encadrent cette obligation lorsque le producteur délégué exploite directement l’œuvre
[5] S’agissant des œuvres audiovisuelles, il semblerait qu’un ou plusieurs accord(s) professionnel(s) pourront établir ces définitions.
[6] Accord conclu entre une majorité des syndicats de producteurs et d’éditeurs, certaines chaînes de télévision et certains syndicats d’auteurs (SACD et SCAM notamment) pour une durée de trois ans tacitement reconductible
[7] Arrêté du 7 octobre 2016 pris en application de l’article L. 132-27 du code de la propriété intellectuelle et portant extension de l’accord du 3 octobre 2016 sur l’obligation de recherche d’exploitation suivie relative aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles