Jour : 13 janvier 2017

La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine[1], parfois caractérisée de « loi fourre-tout », contient des nouvelles mesures relatives à l’audiovisuel. Transparence des comptes de production et d’exploitation, obligation de recherche d’exploitation suivie et nouvelles règles de cession des contrats de production audiovisuelle, sont autant de changements qui viennent modifier le paysage audiovisuel actuel et que nous avons résumé ci-dessous. Ceux-ci ne constituent en réalité qu’un bref aperçu des nombreuses mesures adoptées.

Les comptes de production et d’exploitation doivent être transparents : dans le même élan qui a entraîné la mise en place, dans le secteur cinématographique, d’un coût uniforme de l’œuvre et l’encadrement de l’amortissement de ce coût opposable aux auteurs, le législateur est intervenu afin de renforcer la transparence dans l’industrie audiovisuelle et cinématographique. Cette obligation renforcée a désormais vocation à s’imposer tant aux producteurs délégués qu’aux distributeurs, en s’appliquant tant en amont sur le compte de production, qu’en aval sur le compte d’exploitation, et ne bénéficie plus seulement aux auteurs. La liste des œuvres concernées a également été allongée (œuvres cinématographiques de longue durée mais aussi certaines œuvres audiovisuelles, dont les œuvres de fiction et d’animation, admises au bénéfice des aides financières à la production du CNC). Des sanctions administratives, telle qu’une sanction pécuniaire assise sur le chiffre d’affaires ou une réduction, voire même le remboursement, des aides financières attribuées, ont par ailleurs été prévues afin de garantir le respect de ces nouvelles obligations.

Un décret doit en principe fixer les conditions de mise en œuvre de ces règles de transparence, repoussant ainsi leur application.

Sur le compte de production : il s’agit là d’une nouveauté – en substance, la loi impose désormais aux producteurs d’établir et de transmettre le compte de production de l’œuvre (recensant toutes les dépenses engagées pour la préparation, la réalisation et la postproduction de l’œuvre). Cette communication doit être effectuée dans un délai spécifique notamment auprès des coproducteurs et tout tiers bénéficiant d’un intéressement contractuel aux recettes d’exploitation de l’œuvre conditionné à l’amortissement du coût de production (dont les scénaristes, réalisateurs et compositeurs).

La loi remet à la négociation collective le soin de définir la forme de ce compte, la définition des catégories de dépenses le composant et la nature des moyens de financement par accord professionnel[2] qui pourra être rendu obligatoire par arrêté à tous les acteurs de l’industrie. Pour inciter à la discussion collective qui est au plus près des intérêts des acteurs en jeu et accélérer la mise en application des nouvelles garanties, une date butoir a été instaurée ; si aucun accord professionnel n’est rendu obligatoire à l’expiration d’une période d’un an à compter de cette loi, ces éléments seront définis par décret en Conseil d’Etat[3].

Les obligations relatives à l’établissement et à la communication du compte de production devront par ailleurs être intégrées dans les contrats conclus avec les personnes concernées, étant précisé que cette obligation ne semble pas être assortie de sanction administrative en cas de manquement.

Sur le compte d’exploitation : la loi impose aux distributeurs et mandataires d’établir et de transmettre au producteur délégué le compte d’exploitation de l’œuvre dans des délais encadrés, afin que ce dernier puisse le communiquer, entre autres, aux auteurs et co-producteurs[4]. Elle poursuit ainsi son objectif d’harmonisation à travers la mise en place d’obligations de forme (présentation du compte par mode d’exploitation et par territoire) et de fond (indication de l’état d’amortissement des minimas garantis, entre autres).

La négociation collective est à nouveau privilégiée puisque la loi renvoie la définition de certains éléments (forme du compte, définitions des encaissements bruts, des coûts d’exploitation, etc.) à un accord professionnel[5], qui pourra également être rendu obligatoire à tous les acteurs de l’audiovisuel par arrêté. Le Conseil d’Etat sera en charge de déterminer ces éléments par décret si aucun accord professionnel obligatoire n’est pris dans l’année suivant cette loi.

Les contrats de cession de droits d’exploitation et mandats de commercialisation devront rappeler l’obligation d’établissement et de communication du compte d’exploitation précitée, bien que cette obligation semble être affranchie de sanction administrative en cas de manquement.

Faisant fî de la négociation contractuelle, cet objectif de transparence présentera au moins l’avantage d’harmoniser les différents éléments d’établissement des redditions des comptes, facilitant et accélérant ainsi les calculs des rémunérations dues.

Le producteur est tenu de rechercher une exploitation suivie de ses œuvres, conforme aux usages de la profession : jusqu’en juillet 2016, le producteur était tenu d’assurer à l’œuvre audiovisuelle une « exploitation conforme aux usages de la profession ». Les paramètres de cette exploitation n’avaient pas été définis par le législateur, ce qui décourageait les bénéficiaires de cette disposition de s’en prévaloir.

Soucieuse de favoriser la circulation des œuvres, la loi nouvelle renforce cette obligation en précisant que cette exploitation doit être suivie. Elle prévoit par ailleurs que le champ d’application et les conditions de mise en œuvre de celle-ci devront être définies par voie d’accord professionnel qui pourra être rendu obligatoire pour l’ensemble des intéressés concernés par arrêté.

C’est ainsi qu’un accord professionnel a d’ores et déjà été conclu le 3 octobre 2016[6]. Cet accord a été étendu par arrêté du 7 octobre 2016[7], et s’impose à toute entreprise de production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles ainsi qu’à toute entreprise cessionnaire ou mandataire de droits d’exploitation d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles.

Ces textes visent certaines œuvres françaises cinématographiques et audiovisuelles pour lesquelles un contrat de production audiovisuelle est régi par le droit français. Ils s’appliquent à compter du 7 octobre 2016, bien qu’un aménagement ait été prévu pour les œuvres exploitées avant cette date.

L’obligation de recherche d’exploitation suivie est qualifiée comme une obligation de moyens, en vertu de laquelle le producteur doit entreprendre ses meilleurs efforts pour permettre à l’œuvre d’être exploitée en France et/ou à l’étranger, soit en exploitant l’œuvre lui-même, soit par le biais de distributeurs ou d’opérateurs. Cette obligation est répercutée sur les distributeurs, qui devront également faire leurs meilleurs efforts pour permettre au producteur de remplir son obligation de recherche d’exploitation suivie.

Le producteur doit par ailleurs fournir, sur simple demande écrite de l’auteur ou, à défaut, de son représentant mandaté, les informations relatives aux efforts qu’il a engagés et aux motifs éventuels qui l’empêchent de remplir cette obligation de recherche d’exploitation suivie. Le producteur pourra solliciter les distributeurs et opérateurs pour fournir les informations relatives aux exploitations effectuées.

Ces obligations étant particulièrement favorables aux auteurs et contraignantes pour les producteurs, l’accord a instauré des présomptions de respect de cette obligation de recherche d’exploitation suivie. Ainsi, par exemple, l’obligation du producteur est présumée respectée lorsque l’œuvre fait l’objet de contrats d’exploitation en cours d’exécution en vue d’une exploitation dans deux modes parmi cinq modes d’exploitation identifiés par l’arrêté ; cependant, un contrat de cession de droits pour un seul mode visant la France sera suffisant pour les œuvres audiovisuelles et pour les œuvres cinématographiques de plus de huit ans.

Des causes d’exonération ont également été prévues sous certaines conditions, notamment en cas d’impossibilité de renégocier les droits d’exploitation, constituant un obstacle juridique au respect de cette obligation.

Ce régime n’est pas sans rappeler celui de l’éditeur d’une œuvre littéraire, qui doit en assurer une exploitation permanente et suivie, sous peine de voir la cession des droits résiliée. Toutefois, les sanctions applicables dans le secteur audiovisuel en cas de manquement aux obligations précitées n’ont pas été clairement définies, même si le texte encourage le recours à la médiation.

Précisons enfin que l’accord professionnel met en place d’autres obligations et engagements, applicables entre autres aux producteurs, auteurs, distributeurs et diffuseurs, dont une mesure que nous trouvons particulièrement encourageante, et qui oblige les auteurs et producteurs à négocier de bonne foi pour « favoriser le renouvellement et/ou la renégociation des contrats conclus pour une durée limitée, dans des conditions permettant que les droits d’auteur et les droits voisins du droit d’auteur sur l’œuvre ne soient pas dissociés artificiellement à des fins spéculatives ».

Les cessions de contrats de production audiovisuelle sont désormais encadrées : en cas de cession par le producteur du bénéfice du contrat à un tiers, la loi impose une information préalable des coauteurs, qui devra intervenir au plus tard un mois avant la date effective de la cession. Ce droit d’information préalable doit figurer au contrat.

Bien que certaines conditions encadrant cette nouvelle mesure n’aient pas été clairement précisées (forme de la notification, nature de l’objet de la cession), le respect du formalisme imposé par la loi sera rapidement mis à l’épreuve dans cette industrie où cession de contrats et de catalogues rythment le quotidien. Il nous semble par ailleurs que l’absence de notification pourrait mettre en cause la validité de la cession. Les enjeux sont donc très importants dans le cadre de rapprochements de sociétés, d’audits juridiques et de cessions de catalogue. Ainsi, il conviendra de rester particulièrement attentifs aux développements à venir, qui permettront certainement de définir de manière plus précise les conditions de cette nouvelle obligation.

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La loi relative à la liberté de la création contient de nombreuses autres dispositions relatives, entre autres, aux contrats d’édition, aux contrats conclus entre artiste-interprète et producteur de phonogrammes, au médiateur de la musique, aux contrats de transmission des droits d’auteur et au régime du droit de suite et de la copie privée.

Compte tenu des importantes modifications, une mise à jour des contrats et/ou un suivi personnalisé sont fortement conseillés.

 

[1] Loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine

[2] S’agissant des œuvres audiovisuelles, il semblerait qu’un ou plusieurs accord(s) professionnel(s) pourront établir ces définitions y compris les modalités d’amortissement du coût de production.

[3] Un premier accord professionnel a été conclu le 19 février 2016 entre certains producteurs, diffuseurs et distributeurs sur la transparence des comptes et des remontées de recettes en matière de production audiovisuelle mais n’a pas encore été étendu.

[4] Précisons également que des dispositions particulières encadrent cette obligation lorsque le producteur délégué exploite directement l’œuvre

[5] S’agissant des œuvres audiovisuelles, il semblerait qu’un ou plusieurs accord(s) professionnel(s) pourront établir ces définitions.

[6] Accord conclu entre une majorité des syndicats de producteurs et d’éditeurs, certaines chaînes de télévision et certains syndicats d’auteurs (SACD et SCAM notamment) pour une durée de trois ans tacitement reconductible

[7] Arrêté du 7 octobre 2016 pris en application de l’article L. 132-27 du code de la propriété intellectuelle et portant extension de l’accord du 3 octobre 2016 sur l’obligation de recherche d’exploitation suivie relative aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles

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Après plus de quatre ans de négociation, le nouveau règlement sur les données personnelles (le « Règlement ») a enfin été adopté le 24 mai 2016[1]. Toutefois, il ne sera applicable qu’à compter du 24 mai 2018. Les entreprises responsables de traitements de données personnelles et leurs sous-traitants auront jusqu’à cette date pour se mettre en conformité avec le Règlement y compris pour les traitements déjà mis en œuvre à cette date.

Le Règlement a pour objectif d’adapter les règles sur les données personnelles au monde du numérique et de les harmoniser au sein des pays de l’Union Européenne (UE). Ce texte remplacera donc la règlementation existante jusqu’à aujourd’hui.

Son champ d’application est large puisqu’il s’appliquera dès lors que (i) les données personnelles collectées concernent un citoyen résidant dans l’UE, que le responsable de traitement se trouve ou non sur ce territoire; (ii) le responsable du traitement ou son sous-traitant réside dans l’UE, c’est-à-dire que le Règlement s’appliquerait à un citoyen non-européen dont les données seraient collectées ou traitées par une société de l’UE. Le critère du lieu d’établissement du responsable de traitement, jusqu’alors retenu pour définir la loi applicable au traitement de données, est donc largement dépassé. Le but est notamment de permettre d’encadrer les traitements effectués sur Internet lorsque l’une des personnes impliquées dans le traitement (le responsable de traitement ou la personne dont les données sont traitées) est située en dehors de l’Espace Economique Européen.

Les points essentiels à retenir de ce Règlement sont les suivants:

  • Etablissement d’un niveau élevé de protection et de contrôle des citoyens sur leurs données personnelles, notamment par la création d’un droit à la portabilité des données personnelles et la consécration du droit à l’oubli;
  • Modifications profondes du régime de la responsabilité. A titre d’exemple, les responsables de traitement ne sont plus soumis à l’obligation de déclaration (le régime d’autorisation est quant à lui maintenu dans certains cas) et devront prouver qu’ils ont respecté les dispositions du Règlement; les sous-traitants se voient désormais appliquer directement une série d’obligations légales;
  • Les sanctions administratives sont renforcées en cas de non respect de ces règles puisqu’elles pourront s’élever jusqu’à 4% du chiffres d’affaire annuel mondial de l’entreprise et à 10 ou 20 millions d’euros dans les autres cas.

 Plus particulièrement, parmi les obligations mises à la charge des sociétés effectuant des traitements de données personnelles, il convient de relever que celles-ci devront désormais:

  • Mettre en œuvre des mesures techniques et organisationnelles appropriées et être capable de démontrer cette conformité au Règlement à tout moment (principe « d’accountability»). A ce titre, les responsables de traitement de données devront par exemple garantir la confidentialité du traitement ou veiller à ce que, par défaut, seules les données strictement nécessaires au regard de chaque finalité soient traitées (principe dit de « minimisation »);
  • Si la société comporte plus de 250 salariés (sauf exception), tenir un registre des activités de traitements comparable à un inventaire des traitements;
  • Désigner un délégué aux données personnelles si la société appartient au secteur public, si son activité principale l’amène à réaliser un traitement systématique de données personnelles à grande échelle ou enfin si son activité principale l’amène à traiter (toujours à grande échelle) des données dites « sensibles » ou relatives à des condamnations;
  • Notifier aux autorités (et aux personnes concernées si cette violation est susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés d’une personne) les failles de sécurité 
dans un délai de 72 heures après en avoir pris connaissance.

Dans la mesure où le Règlement s’appliquera pour les traitements déjà mis en œuvre en mai 2018, les entreprises ont tout intérêt à se préparer dès maintenant à ces nouvelles règles qui impliquent une nouvelle organisation, en particulier pour les sous-traitants soumis pour la première fois à des obligations légales.

 

[1] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE

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La société de droit suédois Team Reager AB, spécialisée dans la conception de produits et services pour téléphones portables, a créé un « kit mains libres » innovant dénommé « Moobitalk ».

Afin de garantir la pérennité de l’exploitation de ce produit, elle a déposé, le 19 octobre 2010, la marque verbale communautaire « Moobitalk ».

S’étant aperçue que M. X., un dirigeant de sociétés proposant des services de communication regroupés autour du suffixe « moobi » au Proche-Orient et plus particulièrement au Yemen, avait enregistré le 17 avril 2011 (soit postérieurement à la marque « Moobitalk » précitée) le nom de domaine « moobitalk.com », la société Team Reager AB a demandé à l’OMPI le transfert dudit nom de domaine à son bénéfice dans le cadre d’une procédure UDRP.

Ce transfert lui a été accordé par décision du 29 juillet 2013.

M.X. a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’Appel de Paris qui a infirmé la décision de l’OMPI et rappelé que si l’utilisation d’un signe distinctif comme nom de domaine sur Internet peut constituer un acte d’usage dans la vie des affaires au sens de l’article 9 du règlement communautaire (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 (condition nécessaire à constituer l’acte de contrefaçon), un tel usage ne peut constituer un acte de contrefaçon d’une marque qu’à la condition que le public visé par le site litigieux est situé sur le territoire de l’Union européenne.

En application de ce principe et en constatant que, malgré l’identité de la marque « moobitalk » avec le nom de domaine litigieux, le site internet auquel renvoi ledit nom de domaine (i) est rédigé en anglais ou en arabe et (ii) propose huit versions s’adressant chacune aux consommateurs de huit pays du Proche et du Moyen Orient, soit la Jordanie, le Koweit, l’Irak, les Emirats arabes unis, la Palestine, l’Arabie Saoudite, le Maroc et la Mauritanie, la Cour d’Appel a jugé que le public situé sur le territoire de l’Union européenne n’était pas visé par le site internet et par conséquent, que la contrefaçon n’était pas établie.

La Cour d’Appel a précisé en outre que l’extension « .com » est commune à tous les pays et, dès lors, dépourvue de signification géographique. Ainsi, elle ne traduit pas nécessairement la volonté de toucher le public partout dans le monde et en particulier sur le territoire de l’Union européenne.

Si cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante et désormais bien établie, elle a le mérite de rappeler aux titulaires de droits les limites du droit des marques qui sont intrinsèquement liées à sa territorialité. Afin d’éviter des désagréments similaires, la réflexion et la mise en place d’une véritable stratégie de protection du portefeuille de marques et noms de domaine apparaissent indispensables. Le titulaire de la marque aurait ainsi pu enregistrer le nom de domaine correspondant à sa marque dans les différentes extensions génériques (y compris .com, .eu, .biz, etc.) et/ou prévoir de déposer sa marque dans des territoires plus pertinents.

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