Catégorie : Droit des Marques

La société de droit suédois Team Reager AB, spécialisée dans la conception de produits et services pour téléphones portables, a créé un « kit mains libres » innovant dénommé « Moobitalk ».

Afin de garantir la pérennité de l’exploitation de ce produit, elle a déposé, le 19 octobre 2010, la marque verbale communautaire « Moobitalk ».

S’étant aperçue que M. X., un dirigeant de sociétés proposant des services de communication regroupés autour du suffixe « moobi » au Proche-Orient et plus particulièrement au Yemen, avait enregistré le 17 avril 2011 (soit postérieurement à la marque « Moobitalk » précitée) le nom de domaine « moobitalk.com », la société Team Reager AB a demandé à l’OMPI le transfert dudit nom de domaine à son bénéfice dans le cadre d’une procédure UDRP.

Ce transfert lui a été accordé par décision du 29 juillet 2013.

M.X. a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’Appel de Paris qui a infirmé la décision de l’OMPI et rappelé que si l’utilisation d’un signe distinctif comme nom de domaine sur Internet peut constituer un acte d’usage dans la vie des affaires au sens de l’article 9 du règlement communautaire (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 (condition nécessaire à constituer l’acte de contrefaçon), un tel usage ne peut constituer un acte de contrefaçon d’une marque qu’à la condition que le public visé par le site litigieux est situé sur le territoire de l’Union européenne.

En application de ce principe et en constatant que, malgré l’identité de la marque « moobitalk » avec le nom de domaine litigieux, le site internet auquel renvoi ledit nom de domaine (i) est rédigé en anglais ou en arabe et (ii) propose huit versions s’adressant chacune aux consommateurs de huit pays du Proche et du Moyen Orient, soit la Jordanie, le Koweit, l’Irak, les Emirats arabes unis, la Palestine, l’Arabie Saoudite, le Maroc et la Mauritanie, la Cour d’Appel a jugé que le public situé sur le territoire de l’Union européenne n’était pas visé par le site internet et par conséquent, que la contrefaçon n’était pas établie.

La Cour d’Appel a précisé en outre que l’extension « .com » est commune à tous les pays et, dès lors, dépourvue de signification géographique. Ainsi, elle ne traduit pas nécessairement la volonté de toucher le public partout dans le monde et en particulier sur le territoire de l’Union européenne.

Si cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante et désormais bien établie, elle a le mérite de rappeler aux titulaires de droits les limites du droit des marques qui sont intrinsèquement liées à sa territorialité. Afin d’éviter des désagréments similaires, la réflexion et la mise en place d’une véritable stratégie de protection du portefeuille de marques et noms de domaine apparaissent indispensables. Le titulaire de la marque aurait ainsi pu enregistrer le nom de domaine correspondant à sa marque dans les différentes extensions génériques (y compris .com, .eu, .biz, etc.) et/ou prévoir de déposer sa marque dans des territoires plus pertinents.

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Etes-vous bien protégés par un accord de co-existence de marque ?

La question peut légitimement se poser comme en témoigne l’arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2015 (Cass. Com., n°13-24979).

Dans cette affaire la société Laboratoires Lehning, qui a pour activité la fabrication de préparations pharmaceutiques, est titulaire des marques française et communautaire « Lehning », pour désigner notamment des produits pharmaceutiques, vétérinaires et désinfectants en classe 5. Ayant constaté que la société Ecophar, avait déposé à l’INPI la marque française « Lehring Naturellement efficace » pour désigner des produits recoupant certains de ceux visés dans l’enregistrement de ses marques (également en classe 5), la société Lehning a contesté cette demande d’enregistrement. Cette contestation s’est soldée par la signature d’un accord de coexistence en juin 2008 entre les deux sociétés. Toutefois, au cours de l’année 2012, considérant que la société Ecophar n’avait pas respecté ses engagements aux termes de l’accord de coexistence, notamment en raison de la reproduction du terme « Lehring » isolément et en gros caractères sur son site internet, la société Lehning a assigné Ecophar en contrefaçon de marque et concurrence déloyale.

 

En appel, la Cour d’Appel de Paris avait estimé que, parce qu’ Ecophar avait globalement respecté l’accord de coexistence, il ne pouvait y avoir contrefaçon de marque ou concurrence déloyale. La Cour d’Appel avait donc fait ici un parallèle simpliste entre accord de coexistence et contrefaçon ou concurrence déloyale. Le respect global du premier entrainant automatiquement l’absence de matérialisation du second.

 

Toutefois, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel, estimant que la Cour d’Appel aurait dû rechercher « comme elle y était invitée, si, en raison de la similitude des marques en présence et des produits désignés à l’enregistrement, le non-respect des engagements contractuels constaté n’était pas de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit du public… ».

La Cour de cassation a adopté le même raisonnement concernant l’action en concurrence déloyale.

Il en résulte que la reconnaissance de la contrefaçon et/ou de la concurrence déloyale n’est en aucun cas systématique. La violation d’un accord contractuel ne constitue une contrefaçon et/ou un acte de concurrence déloyale qu’autant qu’elle porte atteinte au monopole au regard des règles de droit applicables. Il appartient donc à la partie lésée de prouver la contrefaçon et la concurrence déloyale et ce malgré la violation de l’accord de coexistence.

La signature d’un accord de coexistence offre donc une protection toute relative de la marque objet du contrat[1].

Il convient dès lors d’être particulièrement vigilent dans la rédaction de tels accords et éventuellement d’assortir la violation de ces derniers d’une clause d’indemnisation contraignante qui découragera le cocontractant de passer outre les termes de la convention.

[1] D’autant plus que, comme l’a déclaré la Cour de Justice de L’Union Européenne (CJUE, 3e ch., 19 sept. 2013, aff. C-661/11), nul n’est tenu de demeurer dans la coexistence.

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Accéder librement à des contenus dans l’ensemble du territoire de l’Union Européenne sans souscrire un abonnement différent dans chacun des Etats membres pourrait être possible à partir de l’année prochaine. C’est en tous les cas le souhait de la Commission européenne qui a proposé le 9 décembre dernier un règlement relatif à la portabilité des contenus dans le cadre de sa stratégie sur le marché unique du numérique[1].

Cette proposition prévoit que les fournisseurs de services de contenu en ligne permettent à leurs abonnés présents temporairement dans un Etat membre autre que leur Etat membre de résidence d’accéder au service de contenu en ligne et de l’utiliser. Avec cette nouvelle obligation « contraignante », les abonnés devraient ainsi avoir accès « au même contenu, sur la même gamme et le même nombre d’appareils, pour le même nombre d’utilisateurs et avec les mêmes fonctionnalités, que dans leur État membre de residence”[2].

Les services de contenus en ligne concernés par ces dispositions sont, en l’état actuel, notamment limités aux services ‘portables’ (c’est-à-dire, précise la Commission, ceux auxquels l’abonné peut effectivement avoir accès et utiliser dans son Etat membre de résidence sans limitation à un lieu spécifique) fournis légalement en ligne[3] dans l’Etat membre de résidence de l’abonné soit contre paiement, soit gratuitement si le fournisseur vérifie l’Etat membre de résidence de l’abonné (via l’adresse IP ou autre moyen d’authentification). Les abonnés bénéficiaires de cette portabilité sont également précisément définis dans la proposition.

Dans le cadre de cette portabilité transfrontière, la fourniture des services, leur accès et leur utilisation par l’abonné seront réputés être réalisés dans l’Etat membre de résidence[4]. Aussi, à titre d’exemple, lorsqu’un abonné télécharge légalement un contenu en ligne proposé par son fournisseur en France (Etat membre de résidence) lors d’un séjour limité en Belgique (présence temporaire dans un autre Etat membre), cet acte de téléchargement sera réputé réalisé en France.

Il s’agit donc d’une certaine entorse au principe de territorialité contractuelle puisque la portabilité transfrontière au sein de l’Union Européenne permettra d’étendre le champ géographique défini au contrat avec le fournisseur de service pendant la durée de la présence temporaire de l’abonné dans un autre Etat membre.

Notons cependant que cette durée et l’objet de cette présence temporaire, définie par la Commission comme le fait pour un abonné de se trouver dans un Etat membre autre que son Etat membre de résidence, manquent de précision. Ces informations seraient pourtant importantes afin d’éviter de quelconques abus.

La Commission ayant choisi la forme du règlement, la proposition, actuellement en discussion au Parlement européen et au Conseil, sera obligatoire et directement applicable dans tous les Etats membres une fois adoptée.

En attendant la décision du Parlement et du Conseil et d’éventuelles précisions quant à l’application de la portabilité transfrontière envisagée, comment anticiper aujourd’hui ces changements potentiels dans les contrats en cours de négociation?

La proposition de la Commission prévoit que toute disposition contractuelle contraire (y compris simplement limitative) à la portabilité transfrontière et à la localisation de la fourniture des services, de leur accès et de leur utilisation par l’abonné dans l’Etat membre de résidence seront inapplicables. Il est en outre précisé que ce règlement s’appliquerait aux contrats conclus avant la date de son application.

Bien que ces deux dispositions permettraient d’éviter une renégociation des contrats en cours au jour de l’application du règlement[5], il serait conseillé de prévoir d’ores et déjà dans les contrats en cours de négociation une clause mentionnant cette possibilité de portabilité des contenus dans l’éventualité où le règlement serait adopté.

 

[1] Proposition de Règlement du Parlement Européen et du Conseil visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur 2015/0284 en date du 9 décembre 2015 (la « Proposition »)

[2] Considérant 18 de la Proposition

[3] Par tout moyen, y compris streaming, téléchargement ou toute autre technique permettant l’utilisation du contenu – Considérant 13 de la Proposition

[4] La Commission précise dans son exposé des motifs que cette règle s’appliquerait pour toutes les finalités liées à cette disposition. Cette dernière fait également référence à certaines directives

[5] Considérant 26 de la Proposition

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Le signe d’une marque doit revêtir un caractère distinctif pour être protégeable. Ce principe, plus facilement applicable en présence d’une marque figurative ou semi-figurative[1], peut poser problème pour les titulaires de marques verbales (particulièrement un simple texte). Comment prouver le caractère distinctif d’une marque lorsque celle-ci vient justement décrire l’activité exercée par son titulaire ? C’est cette problématique qui a notamment été adressée par le tribunal de grande instance de Paris dans une décision du 13 novembre 2015 quant à la marque verbale « vente-privee.com ».

Dans cette affaire intentée par la société Vente-privée.com, des exploitants exerçant une activité relativement similaire à celle du demandeur, sous un signe tout aussi similaire, ont tenté d’obtenir reconventionnellement la nullité de certaines marques de la société, y compris la marque verbale « vente-privee.com », pour, entre autres, défaut de caractère distinctif.

Le tribunal a clairement rejeté ces demandes en usant d’une exception au principe susmentionné, notamment prévue en droit communautaire, selon laquelle une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, ne pourra être déclarée nulle pour défaut de caractère distinctif « si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif”[2]. Alors que les Etats membres peuvent prévoir que cette exception s’applique aussi « lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement », la France n’a pas adopté de telle dérogation.

Reprenant des critères posés par la Cour de Justice de l’Union Européenne pour apprécier ‘l’acquisition du caractère distinctif par l’usage’, les juges ont ainsi analysé les pièces produites par la société Vente-privée.com afin de démontrer l’usage intensif de la marque avant son dépôt.

C’est notamment sur la base d’une attestation de chiffre d’affaires établie par un expert-comptable (permettant de constater son importante évolution), de divers articles de presse et d’articles en ligne identifiant le classement du site, d’un baromètre d’audience du e-commerce et de sondages auprès du public que le tribunal a reconnu le caractère distinctif de la marque verbale par usage :

« Ces éléments, qui témoignent de l’importance croissante du chiffre d’affaires de la société Vente-privee.com, de sa position sur le marché des ventes événementielles, de sa connaissance par un large public et de l’importance de ses investissements publicitaires, permettent de considérer qu’à la date du dépôt, et même s’il a toujours été systématiquement associé à son élément figuratif et à la couleur rose qui sont omniprésents sur son site qui représente son seul accès au public, le signe verbal « vente-privee.com » permettait à une fraction significative du public concerné -soit le consommateur s’intéressant aux services de vente en ligne- d’identifier l’origine des services distribués (….)”.

Bien que les critères retenus par le tribunal soient essentiellement économiques (évolution du chiffre d’affaires, position sur le marché, importance des investissements pour la promotion, etc.) et laissés à la libre appréciation des juges du fond, cette jurisprudence confirme la possibilité pour les titulaires de marques de prouver le caractère distinctif de celles-ci grâce à l’usage intensif qu’ils en auront fait avant dépôt.

 

[1] Alors qu’une marque figurative est généralement composée d’un élément figuratif, graphique, une marque semi-figurative associe un élément figuratif à un élément verbal.

[2] Article 3.3. Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des états membres sur les marques

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La loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon vient harmoniser pour tous les droits de propriété intellectuelle certaines dispositions pour lesquelles il existait des régimes distincts et clarifier certains éléments (prêtant à confusion) issus de la précédente loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon.

On retiendra notamment les dispositions suivantes :

  • le délai de prescription des actions civiles en contrefaçon sont harmonisés à 5 ans pour tous les droits de propriété intellectuelle. Ces délais étaient précédemment de 3 ou 5 ans : 3 ans pour les brevets, marques, et dessins et modèles, et 5 ans pour les droits d’auteur ;
  • les procédures de saisie-contrefaçon sont harmonisées pour tous les droits de propriété intellectuelle, alors qu’il existait jusqu’à présent une particularité dans ces domaines concernant les actions relatives aux droits d’auteur ;
  • le droit à l’information des victimes d’actes de contrefaçon est renforcé : la juridiction saisie au fond ou en référé peut ordonner la communication d’informations et de documents sur les produits argués de contrefaçon avant même que la contrefaçon ne soit jugée au fond ;
  • le mode de calcul des dommages et intérêts alloués au titulaire de droits victime d’actes de contrefaçon est clarifié. Les tribunaux devront prendre en considération distinctement les conséquences négatives de la contrefaçon pour la victime (dont son manque à gagner et ses pertes), son préjudice moral et les bénéfices réalisés par le contrefacteur (y compris les économies réalisées par ce dernier). A la demande de la victime, les tribunaux pourront alternativement allouer à cette dernière une somme forfaitaire qui devra être supérieure au montant des redevances que le contrefacteur aurait dû verser à la victime s’il lui avait préalablement demandé l’autorisation d’exploiter ses droits de propriété intellectuelle.

La loi du 11 mars renforce également les moyens d’action des douanes dans la lutte contre la contrefaçon en améliorant notamment les procédures de retenue en douanes.

Il faut bien évidemment encore attendre de voir comment cette nouvelle loi sera appliquée par les tribunaux mais elle semble a priori bienvenue pour les praticiens et les titulaires de droits car elle simplifie les moyens d’action contre les tiers contrefacteurs.

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