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Accéder librement à des contenus dans l’ensemble du territoire de l’Union Européenne sans souscrire un abonnement différent dans chacun des Etats membres pourrait être possible à partir de l’année prochaine. C’est en tous les cas le souhait de la Commission européenne qui a proposé le 9 décembre dernier un règlement relatif à la portabilité des contenus dans le cadre de sa stratégie sur le marché unique du numérique[1].

Cette proposition prévoit que les fournisseurs de services de contenu en ligne permettent à leurs abonnés présents temporairement dans un Etat membre autre que leur Etat membre de résidence d’accéder au service de contenu en ligne et de l’utiliser. Avec cette nouvelle obligation « contraignante », les abonnés devraient ainsi avoir accès « au même contenu, sur la même gamme et le même nombre d’appareils, pour le même nombre d’utilisateurs et avec les mêmes fonctionnalités, que dans leur État membre de residence”[2].

Les services de contenus en ligne concernés par ces dispositions sont, en l’état actuel, notamment limités aux services ‘portables’ (c’est-à-dire, précise la Commission, ceux auxquels l’abonné peut effectivement avoir accès et utiliser dans son Etat membre de résidence sans limitation à un lieu spécifique) fournis légalement en ligne[3] dans l’Etat membre de résidence de l’abonné soit contre paiement, soit gratuitement si le fournisseur vérifie l’Etat membre de résidence de l’abonné (via l’adresse IP ou autre moyen d’authentification). Les abonnés bénéficiaires de cette portabilité sont également précisément définis dans la proposition.

Dans le cadre de cette portabilité transfrontière, la fourniture des services, leur accès et leur utilisation par l’abonné seront réputés être réalisés dans l’Etat membre de résidence[4]. Aussi, à titre d’exemple, lorsqu’un abonné télécharge légalement un contenu en ligne proposé par son fournisseur en France (Etat membre de résidence) lors d’un séjour limité en Belgique (présence temporaire dans un autre Etat membre), cet acte de téléchargement sera réputé réalisé en France.

Il s’agit donc d’une certaine entorse au principe de territorialité contractuelle puisque la portabilité transfrontière au sein de l’Union Européenne permettra d’étendre le champ géographique défini au contrat avec le fournisseur de service pendant la durée de la présence temporaire de l’abonné dans un autre Etat membre.

Notons cependant que cette durée et l’objet de cette présence temporaire, définie par la Commission comme le fait pour un abonné de se trouver dans un Etat membre autre que son Etat membre de résidence, manquent de précision. Ces informations seraient pourtant importantes afin d’éviter de quelconques abus.

La Commission ayant choisi la forme du règlement, la proposition, actuellement en discussion au Parlement européen et au Conseil, sera obligatoire et directement applicable dans tous les Etats membres une fois adoptée.

En attendant la décision du Parlement et du Conseil et d’éventuelles précisions quant à l’application de la portabilité transfrontière envisagée, comment anticiper aujourd’hui ces changements potentiels dans les contrats en cours de négociation?

La proposition de la Commission prévoit que toute disposition contractuelle contraire (y compris simplement limitative) à la portabilité transfrontière et à la localisation de la fourniture des services, de leur accès et de leur utilisation par l’abonné dans l’Etat membre de résidence seront inapplicables. Il est en outre précisé que ce règlement s’appliquerait aux contrats conclus avant la date de son application.

Bien que ces deux dispositions permettraient d’éviter une renégociation des contrats en cours au jour de l’application du règlement[5], il serait conseillé de prévoir d’ores et déjà dans les contrats en cours de négociation une clause mentionnant cette possibilité de portabilité des contenus dans l’éventualité où le règlement serait adopté.

 

[1] Proposition de Règlement du Parlement Européen et du Conseil visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur 2015/0284 en date du 9 décembre 2015 (la « Proposition »)

[2] Considérant 18 de la Proposition

[3] Par tout moyen, y compris streaming, téléchargement ou toute autre technique permettant l’utilisation du contenu – Considérant 13 de la Proposition

[4] La Commission précise dans son exposé des motifs que cette règle s’appliquerait pour toutes les finalités liées à cette disposition. Cette dernière fait également référence à certaines directives

[5] Considérant 26 de la Proposition

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Le signe d’une marque doit revêtir un caractère distinctif pour être protégeable. Ce principe, plus facilement applicable en présence d’une marque figurative ou semi-figurative[1], peut poser problème pour les titulaires de marques verbales (particulièrement un simple texte). Comment prouver le caractère distinctif d’une marque lorsque celle-ci vient justement décrire l’activité exercée par son titulaire ? C’est cette problématique qui a notamment été adressée par le tribunal de grande instance de Paris dans une décision du 13 novembre 2015 quant à la marque verbale « vente-privee.com ».

Dans cette affaire intentée par la société Vente-privée.com, des exploitants exerçant une activité relativement similaire à celle du demandeur, sous un signe tout aussi similaire, ont tenté d’obtenir reconventionnellement la nullité de certaines marques de la société, y compris la marque verbale « vente-privee.com », pour, entre autres, défaut de caractère distinctif.

Le tribunal a clairement rejeté ces demandes en usant d’une exception au principe susmentionné, notamment prévue en droit communautaire, selon laquelle une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, ne pourra être déclarée nulle pour défaut de caractère distinctif « si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif”[2]. Alors que les Etats membres peuvent prévoir que cette exception s’applique aussi « lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement », la France n’a pas adopté de telle dérogation.

Reprenant des critères posés par la Cour de Justice de l’Union Européenne pour apprécier ‘l’acquisition du caractère distinctif par l’usage’, les juges ont ainsi analysé les pièces produites par la société Vente-privée.com afin de démontrer l’usage intensif de la marque avant son dépôt.

C’est notamment sur la base d’une attestation de chiffre d’affaires établie par un expert-comptable (permettant de constater son importante évolution), de divers articles de presse et d’articles en ligne identifiant le classement du site, d’un baromètre d’audience du e-commerce et de sondages auprès du public que le tribunal a reconnu le caractère distinctif de la marque verbale par usage :

« Ces éléments, qui témoignent de l’importance croissante du chiffre d’affaires de la société Vente-privee.com, de sa position sur le marché des ventes événementielles, de sa connaissance par un large public et de l’importance de ses investissements publicitaires, permettent de considérer qu’à la date du dépôt, et même s’il a toujours été systématiquement associé à son élément figuratif et à la couleur rose qui sont omniprésents sur son site qui représente son seul accès au public, le signe verbal « vente-privee.com » permettait à une fraction significative du public concerné -soit le consommateur s’intéressant aux services de vente en ligne- d’identifier l’origine des services distribués (….)”.

Bien que les critères retenus par le tribunal soient essentiellement économiques (évolution du chiffre d’affaires, position sur le marché, importance des investissements pour la promotion, etc.) et laissés à la libre appréciation des juges du fond, cette jurisprudence confirme la possibilité pour les titulaires de marques de prouver le caractère distinctif de celles-ci grâce à l’usage intensif qu’ils en auront fait avant dépôt.

 

[1] Alors qu’une marque figurative est généralement composée d’un élément figuratif, graphique, une marque semi-figurative associe un élément figuratif à un élément verbal.

[2] Article 3.3. Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des états membres sur les marques

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